Adam et Eve prennent le métro!

Vous aussi avez lu un drôle d'article ce matin dans le journal Métro? Je cite : « alors qu’Abel, Caïn et Seth sont les trois descendants cités par la Bible, il est aussi précisé que le couple enfanta « plusieurs filles ». D’autre part, des chercheurs ont découvert, grâce à un examen de l’ADN d’un panel censé recouvrir l’ensemble de la diversité biologique humaine, que le nombre total d’enfants d’Adam et Eve se monterait à 28 »



Il me semble que ça mérite discussion… les auteurs peut scrupuleux ou pas très au courant ont du mixer mythe biblique et théorie scientifique ! Je pense pour ma part qu’il y a une grande confusion et qu’ils pourraient faire référence à la théorie de l’ « Eve mitochondriale » (Wilson, 1987) et de l’ « Adam du chromosome Y », le but étant d’identifier grâce à la génétique les ancêtres communs à toute l’humanité. En analysant des ADN mitochondriaux, ce dernier à voulu tenter de trouver l’origine géographique d’Eve, qui dans ce cas fait simplement référence à l’ancêtre du genre Homo. Il en a conclu que l’espèce était passée par un fort goulot d’étranglement il y a environ 200 000 ans, et que toutes les femmes descendraient d’un très faible nombre de femmes-ancêtres. D’autres travaux ont étudié le chromosome Y pour faire de même pour trouver un « Adam » qui serait l’ancêtre masculin de tous les hommes. Selon Wikipedia, « Ils ne furent pas les premiers Homo sapiens ni les plus anciens humains ou plus anciens ancêtres communs humains. Leur position dans l'arbre généalogique humain est celle du plus récent ancêtre commun par lignée maternelle pure (pour l'Ève mitochondriale) et par lignée paternelle pure (pour l'Adam chromosome Y). »


Si quelqu'un pouvait compléter...



Pour ceux que ça intéresse vous pouvez vous reporter au chapitre 3 du livre « les avatars du gène » (Gouyon, Henri, Arnould) ou sur http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%88ve_mitochondriale

Il est vrai que mélanger pèle-mêle légende biblique et hypothèses scientifiques n'est pas de la toute première intelligence, surtout par les temps créationnistes qui courent... La faute aux scientifiques eux-mêmes, peut-être...

Il n'en reste pas moins que c'est l'ultime question biologique de l'origine de l'Homme (toute autre question en biologie étant bien sûr absolument inintéressante ) que l'on tente de résoudre. Homo sapiens, depuis son "apparition", a beaucoup voyagé. L'idée est donc de retracer l'histoire des migrations de cette espèce et de placer une origine à ces migrations. Le lieu d'origine de ces migrations devrait logiquement être le lieu d'origine de l'espèce humaine, l'Afrique dans ce cas.

Une autre raison de s'intéresser à ce genre de choses est que ces études peuvent nous apprendre beaucoup de chose sur le processus de spéciation. Ce que peuvent nous dire les données étudiés est s'il y a eu une ou plusieurs origines à l'espèce humaine (apparemment une) et en quoi consistait cette origine (un goulot d'étranglement, apparemment). On peut après étudier quel a été l'impact précis de ce goulot sur la diversité génétique de l'espèce humaine, estimer la taille du "groupe d'origine", ses caractéristiques (sex ratio, etc...).

Il est important ensuite de déterminer si les découvertes faites sur notre nombril Homo sapiens sont valables sur d'autres espèces...

Et bien en voila un sujet interessant (remarque necessairement biaisee par le fait qu'il sagisse de mon sujet de these, je dois l'avouer...)

Reprennons tout d'abord le concept de "Mitochondrial Eve" et "Y Adam". Il sagit effectivement de l'individu femelle Homo sapiens a l'origine du patrimoine genetique mitochondrial de l'humanite et de son homologue masculin concernant les parties strictement non recombinantes du chromosome Y. Il est a note que ces individus n'etaient pas seuls mais faisaient parti d'une population, dont l'estimation de la taille est actuellement debattu. De plus, il n'etaient pas necessairement contemporains l'un de l'autre, et l'estimation de leur 'date de naissance' est elle aussi un debat d'actualite.
Pour les inconditionnels de Wikipedia, dont le concept de jardin d'Eden genetique fait fumer les meninges, je ne peux que conseiller de passer en version Anglaise sur le site! Les plus temeraires auront tout loisir par la suite d'actualiser la maigre version Francaise pour le bien de la connaissance francophone...

Alors pourquoi Eve reste le fantasme incarne des evolutioniste travaillant sur l'espece humaine?
Peut etre tout simplement parce que le genome mitochondrial se trouve etre une des meilleures source d'information phylogenetique pour cette periode de temps donnee (evolution specifique de sapiens), compte tenu des taux d'evolution des sequences (relie au temps de generation de l'espece notament). En bref, en quelque 100 ou 200 000 ans (oui, oui c'est aussi imprecis que ca!!) les sequences mitochondriales n'ont ni trop, ni trop peu evolue.
D'un point de vue fondamental, l'utilisation stricte de sequences mitochondriales pour reconstruire l'histoire evolutive d'Homo sapiens est contestable. En effet, en faisant cela, on infere l'evolution de l'organelle 'mitochodrie' uniquement et pas l'evolution de l'organisme dans son entier (meme probleme que la difference entre arbre de gene et arbre d'espece). Toutefois, il sagit d'un 'marqueur' phylogenetique pertinent (comme nous l'avons vu), relativement facile a sequencer (y compris en ADN ancien sur des fossils humains vieux de plusieurs milliers d'annees), et relativement simple a analyser car l'ADN mitochondrial est non recombinant (y'a rien a faire, c'est quand meme plus facile quand ca se melange pas!)
Ainsi, si l'etude d'autres marqueurs (nucleaires) est necessaire a la comprehension de l'evolution humaine dans son ensemble, il est important de continuer a analyser l'evolution du genome mitochondrial. C'est une des pierres de l'edifice.

Cela est d'autant plus important que l'on est loin d'avoir tout compris sur l'heritage de notre belle Eve (la beaute est certes discutable compte tenu de son caractere subjectif et de la densite de la pilosite de sapiens a l'epoque, mais je considere qu'un fantasme ne peut etre que beau!). En effet, si une quantitite incroyable d'information a ete generee et analysee ces dernieres annees sur ce sujet (Genographic; PhyloTree), les estimations concernant l'origine maternelle de l'humanite sont aussi coherentes que: 203 000 ans ; 160 000 ans et 108 000 ans (Endicott and Ho, 2009)! De telles difference selon les etudes sont dues a deux principaux facteurs:

- le taux d'evolution des sequences genetique n'est pas proportionnel avec le temps (Ho et al., 2005, Henn et al., 2009). Vous me direz, cela fait longtemps que l'horloge moleculaire stricte est abandonnee, et on utilise desormais des model d'evolution avec horloge moleculaire 'relaxee'. Exact, mais il se trouve qu'un biais plus general a ete mis en evidence : les taux d'evolution calcules dans des pedigres ou des genealogies (au niveau intraspecifique) sont beaucoup plus grands que ceux calcules dans des phylogenies (au niveau interspecifique) (Lambert et al., 2002, pour faire plaisir a Cyril). C'est le probleme des "rates-curve" ou 'courbe de taux d'evolution' (expression qui rejoint 'souchitude' au palmares des pires traductions depuis l'anglais scientifique).

- il n'existe pas de point de calibration precis de l'evolution humaine au niveau intraspecifique. Ainsi, la grande majorite des inferences faites sur l'evolution humaine sont calibrees par la date de divergence humain/chimpanze (elle meme sujette a caution, peut etre Yves a plus d'info la dessus...)

Quand on met en relation ces deux problemes, il se trouve que l'on base l'estimaiton de la totalite de notre histoire evolutive grace a des taux d'evolution qui ne sont pas applicables a l'histoire d'Homo sapiens!
A ce jour, trouver Mito Eve reste un fantasme... ou un mito!


The Genographic Project
https://genographic.nationalgeographic.com/genographic/index.html

PhyloTree
http://www.phylotree.org/

Endicott, P., S. Y. Ho, M. Metspalu, and C. Stringer. 2009. Evaluating the mitochondrial timescale of human evolution. Trends Ecol Evol 24:515-21.
Ho, S. Y. W., M. J. Phillips, A. Cooper, and A. J. Drummond. 2005. Time dependency of molecular rate estimates and systematic overestimation of recent divergence times. Molecular Biology and Evolution 22:1561-1568.
Henn, B. M., C. R. Gignoux, M. W. Feldman, and J. L. Mountain. 2009. Characterizing the Time Dependency of Human Mitochondrial DNA Mutation Rate Estimates. Molecular Biology and Evolution 26:217-230.
Lambert, D. M., P. A. Ritchie, C. D. Millar, B. Holland, A. J. Drummond, and C. Baroni. 2002. Rates of evolution in ancient DNA from Adelie penguins. Science 295:2270-3.